Entre deux

Salsepareil Mar 15 Nov - 10:16

Entre deux...

Au sein du langage, il feint le noyé, transparent aux courants qui l’emportent entre deux eaux. Dans la clarté mouvante, verte et surnaturelle, il scrute les profondeurs. Des ombres vives passent auprès de lui, lancent un éclair d’argent, et s’effacent comme des idées.

Parfois il aperçoit au gré de son errance les ruines d’une Atlantis, ou quelques débris de nefs, plus ou moins éparpillés, qui sont d’anciens dialectes naufragés. Certains encore très reconnaissables, d’autres ininterprétables à cause des sédiments, ou de la mousse des millénaires qui les déforme, ou en recouvre les runes.

Il se laisse entraîner : par expérience, il sait que tenter les gestes de la nage engendre aussitôt un trouble qui prend rapidement du volume et derrière lequel instantanément le cosmos se dissimule ainsi qu’un poulpe au sein du nuage d’encre qu’il expulse...

C’est assez des tempêtes qui râclent jusqu’au fond les jours de grands bouleversements, arrachant comme des chaluts insensés l’inerte et le vivant,
racines comprises.

Au sein du langage, il feint le noyé, transparent aux courants qui l’emportent entre deux eaux. Dans la clarté mouvante, verte et surnaturelle, il scrute les profondeurs. Avec un peu de chance, au prix de légèrement bousculer la vase, il cueille au passage, biscornu, phosphorescent souvent, un coquillage splendide et coloré, marqué d’une ravissante spirale de nacre.

La plupart du temps, hélas, lorsqu’elle a séjourné un moment sur la rive, la conque, énorme au sein de l’onde, se révèle minuscule, là où les hommes, les immeubles, les cités, jugent des choses. Et ses merveilleuses couleurs, ternissant rapidement, virent au banal.